L’IM d’Hawaii est une course mythique et exigeante qui est de loin celle avec la densité la plus élevée du circuit mondial que ce soit chez les pros ou les amateurs.
Lorsqu’on a la chance de se qualifier à Hawaii, il convient de s’y préparer spécifiquement pour tenter d’y réaliser sa meilleure performance.
La préparation de cette course est particulière et ne doit rien laisser au hasard car vous pouvez avoir le meilleur entraînement du monde mais celui-ci ne vous servira à rien si vous ne vous êtes pas acclimaté en amont à la chaleur humide ou si vous n’avez pas préparé votre estomac et votre intestin à ingérer une dose élevée de glucides (90 à 120g/ h). Ces 2 éléments (chaleur & nutrition) sont les points clés de la performance à Hawaii.
L’idée de cet article est de vous apporter quelques précisions sur chaque composante importante de la préparation de l’IM Hawaii afin de ne pas repartir de l’ile Hawaiienne frustré de votre performance.
1. Parlons un peu pacing
Le pacing correspond à la stratégie d’allure qui sera la plus efficace, et permettra donc à l’athlète de dégager la puissance mécanique la plus élevée durant l’ensemble de l’épreuve. Abbiss & Laursen ont rapporté en 2008 la stratégie d’allure généralement employée sur distance IM.
À partir de ce graphique, on constate donc que l’intensité développée (représentée par l’évolution de la fréquence cardiaque) diminue continuellement de la natation à la course à pied. Rapportée à une épreuve comme l’IM d’Hawaii (dont, on le rappelle, la densité par niveau est maximisée), une telle observation est susceptible d’être renforcée. Autrement dit, dans une configuration d’allure où la confrontation aux autres athlètes est exacerbée, l’athlète s’engage souvent (toujours ?) sur les allures plus élevées, en se disant : « je m’accroche au maximum, cette fois ça va peut-être passer ». Malheureusement, ce genre de stratégie ne passe jamais sur Ironman avec bien souvent une grosse souffrance durant le marathon.
Pour déterminer un pacing individuel adéquat il est nécessaire de cerner en amont de l’épreuve les causes de la fatigue (sur distance IM) qui peuvent avoir une conséquence négative sur la gestion d’allure. Pour en citer quelques unes (Burnley & Jones, 2007) :
- L’épuisement du glycogène
- L’hyperthermie selon les conditions environnementales
- Une éventuelle déshydratation
- L’apparition de dommages musculaires
- La baisse de la commande centrale (au niveau nerveux) qui réduit l’intensité de la contraction musculaire
- Des niveaux élevés de fatigue neuromusculaire
- La baisse de motivation
Nous pouvons jouer sur ces différents éléments en utilisant une approche spécifique :
- Définition d’un Tempo optimal qui aura été travaillé en amont durant la préparation avec des séances spécifiques.
- Le concept d’intensité critique (relation linéaire entre l’intensité et le temps) est une approche efficace ayant fait ses preuves sur distance IM. Pour faire simple, plus l’épreuve est longue et moins l’intensité est élevée.
- Différents tests de terrain peuvent permettre de définir la puissance/ vitesse critique (plus d’infos : https://ksendurancetraining.com/definir-les-zones-dintensite-dentrainement-sur-le-terrain/).
- L’intensité critique peut être maintenue environ 60’, une approche simple peut consister à effectuer un effort à intensité maximale sur 60’ pour obtenir une valeur approximative de sa puissance/ vitesse critique.
- A partir de la connaissance de cette donnée, selon le profil du parcours (plat ou montée), nous pouvons modéliser la puissance qui pourra être maintenue sans générer une fatigue néfaste à la réalisation de la performance ciblée en vélo et surtout sur le marathon.
- Il ne faut pas voir cette notion de Tempo sur le vélo comme une intensité qui permettra de réaliser la meilleure performance dans cette discipline mais plutôt comme la gestion de sa réserve d’énergie qui permettra d’aborder le marathon dans les meilleures conditions possible afin de réaliser la meilleure performance globale dans chaque discipline et sur l’ensemble de l’Ironman.
- Le Tempo de puissance en vélo est propre à chaque individu par rapport à sa relation individuelle puissance-temps.
- On peut toutefois faire ressortir une puissance moyenne qui peut être maintenue sur le parcours vélo d’un Ironman entre 75-80% de puissance critique. ⚠️ La puissance critique moyenne pouvant être maintenue est dépendante de la durée de l’épreuve vélo, plus le temps s’allonge et plus le % de puissance critique sera faible.
- Exemple d’un cas concret d’un athlète en préparation pour l’IM Hawaii 2022
Préparer un Ironman demande de longues heures d’entraînement avec une volume conséquent dans chaque discipline. Il se réalise à une intensité soutenue sur une longue durée. Cela exige un entraînement reflétant cette exigence. Ce ne sont pas des séances courtes à haute intensité ou un faible volume d’entraînement qui vont vous préparer à être performant sur Ironman ! Je vous recommande de lire cet article qui montre que l’entraînement HIT n’est pas la meilleure approche dans les disciplines d’endurance https://ksendurancetraining.com/la-performance-en-triathlon-longue-distance-est-elle-limitee-par-la-puissance-vitesse/
Ce sont les longues séances avec un parfait contrôle de l’intensité, pour permettre une amélioration de l’efficience mitochondriale, l’utilisation optimisée des sources énergétiques ou encore pour repousser le seuil de tolérance à la fatigue, qui sont importantes ! Il faut vous concentrer sur le processus qui va vous amener à être le plus performant sur distance Ironman.
Voici la présentation d’une séance de 200Km incluant 140Km au Tempo spécifique + un travail de tolérance à la fatigue de 10Km 👇🏻
- Nous pouvons voir que la puissance et la FC sont restées relativement stable sur la partie Tempo avec une cadence de pédalage @80 rpm de moyenne qui est un bon rapport entre force et vélocité sur distance Ironman.
- Sur la partie 10Km Z2 on peut visualiser une bonne régulation du SNA avec une augmentation de la FC (HRmean +19bpm) et la capacité à augmenter la puissance en état de pré-fatigue au bout de 160Km.
- Cette séance permis une validation du Tempo tant au niveau mécanique (puissance), physiologique (peu de dérive cardiaque), que perceptive avec un RPE de 4-5/ 10.
La démarche est identique en CàP avec du travail sur longue durée. Exemple : 34Km dont 29Km Tempo + 2Km Z2 👇🏻
- Nous pouvons voir une bonne relation intensité-FC durant la partie Tempo. Cette séance indique une bonne efficience aérobie avec une FC plus faible par rapport à l’intensité.
- Sur la partie Z2 on peut visualiser une dérive cardiaque marquée (HRmean +14bpm) qui est preuve d’une réponse adaptative positive du SNA.
- L’aspect mental est également travaillé sur ce genre de séance afin de renforcer la résistance mentale à l’effort qui permet d’endurer le maintien d’une intensité cible durant plusieurs heures malgré une augmentation du niveau de fatigue.
2. Quelle stratégie nutritionnelle sur IM
La dépense énergétique sur distance Ironman (IM) est très élevée, de l’ordre de 8500 à 11500 Kcal avec une moyenne autour de 9040 Kcal (Laursen & Rhodes, 2001). Le stock de glycogène (stockage des glucides dans les muscles et le foie) du corps humain s’élève à environ 3000 Kcal alors que le stock de lipides (graisses) s’élève lui à 68 250 kcal (pour un athlète de 70kg avec une masse grasse de 10%). On pourrait penser que le stock de lipides est suffisant pour couvrir un Ironman sans apport énergétique exogène mais malheureusement ce n’est pas aussi simple. En effet, même avec un taux élevé d’oxydation des graisses, l’athlète ne pourra pas faire face à la demande énergétique requise lors d’un IM qu’avec les lipides, il devra aussi avoir un apport exogène en glucides.
L’ingestion de glucides exogènes durant un IM permet :
- De préserver le stock de glycogène ce qui est primordial car un épuisement des réserves de glycogène provoque de la fatigue musculaire et une baisse du couplage excitation-contraction musculaire
- D’être plus rapide sur des épreuves d’ultra-endurance en retardant l’apparition de la fatigue
- De maintenir une intensité élevée d’exercice ou une intensité relative sur une longue durée
- De limiter les dommages musculaires durant l’exercice et d’améliorer la récupération post-effort
Les dernières avancées scientifiques ont pu mettre en évidence qu’un apport de glucides compris entre 90g/ h et 120g/ h, selon la capacité de l’athlète à les assimiler sans troubles gastriques (TG), est une stratégie nutritionnelle efficace pour être performant dans les épreuves d’endurance.
Attention
L’utilisation de ce dosage en glucides n’est rendu possible que si vous optez pour une boisson contenant 2 transporteurs intestinaux de glucides à savoir le SGLT1 pour le glucose et GLUT5 pour le fructose. En effet, les intestins ne peuvent pas absorber une quantité de glucides >60g/ h s’il n’y a qu’un seul transporteur de glucose. La composition idéale de la boisson sera de 2/3 de glucides et 1/3 de fructose. Pour assimiler un dosage compris entre 90 et 120g de glucides/ h, il faut entraîner l’estomac et l’intestin bien en amont.
Les glucides et les lipides sont donc intéressants pour être performant sur IM, il convient donc optimiser leur utilisation avec une approche croisée de l’entraînement visant à augmenter la capacité d’oxydation des graisses tout optimisant la capacité d’oxydation des glucides exogènes. Une approche périodisée de la nutrition durant les entraînements en programmant des séances avec une faible disponibilité de glucides afin de favoriser l’adaptation du métabolisme des graisses et d’autres séances d’entraînement spécifiques avec des taux élevés d’ingestion de glucides pour entraîner l’’estomac et l’intestin à absorber les glucides exogènes afin de réduire les TG.
Une nouvelle approche de périodisation nutritionnelle durant les séances d’entraînement émerge actuellement, les bénéfices ont l’air intéressant pour améliorer la flexibilité métabolique (capacité à utiliser les glucides et les lipides à l’effort). Cette nouvelle approche est testée actuellement avec les athlètes du groupe.
3. La gestion du Jetlag
Il y a 12h de décalage horaire entre Hawaii et notre hexagone, il faut donc s’y préparer en amont afin de l’absorber pour ne pas être totalement désynchronisé sur la ligne de départ, ce qui aurait une conséquence négative sur la performance.
Les recommandations pratiques pour le jet lag convergent vers l’idée d’ajuster son horloge biologique d’1h par jour pour chaque heure de décalage, suggérant ici de réguler ses heures de coucher et lever presque 2 semaines avant l’épreuve. Par ailleurs, les coureurs à Hawaii se déplaçant rarement à la dernière minute, cette stratégie doit être poursuivie lors des journées passées sur le lieu de la compétition. Les interventions permettant de favoriser le sommeil (relaxation, température ambiante douce, douche chaude, repas léger, boisson lactée au miel, écoute de son cycle de sommeil, etc.) comme celles permettant de le retarder (café, lumière, exercice physique intense, bruit, smartphone, etc.) prennent dans cette optique tout leur sens. De même, les siestes modérées (une vingtaine de minute) peuvent permettre d’encaisser la mise en place de cette adaptation horaire.
4. S’acclimater pour affronter les conditions météorologiques difficiles
En moyenne, la température ambiante à Hawaii s’élève à cette période de l’année à ~30° avec un taux d’humidité >50% (générant une température ressentie de +5-6°). Songez que ce type d’ambiance thermique induit en moyenne une perte de ~2%, ~7% et ~16% pour des durées d’effort de ~6min, ~30min et ~70min, respectivement. Imaginez donc le déclin de performance pour un Ironman en chaleur si vous n’y êtes pas préparés… ?! L’acclimatation à la chaleur est une des clés de la performance sur l’IM d’Hawaii, elle permet de réduire le tension thermique pendant l’effort permettant d’améliorer potentiellement la performance.
Pour cela, rien de plus simple ! Essayez trois semaines avant la compétition de réaliser vos séances à basse intensité dans une pièce chauffée à une température de 30°C, et cela pendant >60min à raison de 3 fois/ semaine. Si vous y allez progressivement et rester à l’écoute de vos sensations (pas de surcharge !), alors vous apprendrez à votre corps à mieux tolérer (mental !) et évacuer (physiologie !) la chaleur qu’il emmagasine à l’exercice. Après 10-12 séances (sans trop d’écart entre elles), vous constaterez par vous même à quel point cette stratégie d’acclimatation à la chaleur peut être efficace…
Avec le groupe, nous utilisons une approche alternative en prenant des bains chauds post-effort pour mieux supporter la chaleur humide. L’avantage du bain chaud post-exercice étant qu’il n’interfère pas avec l’entraînement et qu’il est facile à intégrer dans la préparation. Pour obtenir une acclimatation complète à la chaleur, il est important d’élever à la fois la température corporelle centrale et la température cutanée. Prendre un bain chaud post-séance permet cette élévation combinée de la température centrale du corps et de la température de la peau. La chaleur ne peut pas se dissiper dans la chaleur humide du bain, ce qui permet d’améliorer les mécanismes spécifiques pour s’acclimater à la chaleur humide.
5. L’approche de l’affûtage
L’affûtage est une stratégie qui consiste à manipuler le volume et l’intensité de la charge d’entraînement pour diminuer la fatigue engendrée par l’entraînement sans perdre les adaptations qui ont été difficilement acquises.
La réduction de la charge d’entraînement engagée par la phase d’affûtage va renforcer l’adaptation physiologique au niveau moléculaire et cellulaire mais également au niveau psychologique.
Les diverses études scientifiques sur le sujet préconisent des durées d’affûtage entre 4 et 28 jours (Mujika & al, 1996 ; Mujika & al, 2002) comprenant une baisse progressive du volume d’entraînement, un maintien de la fréquence des séances et une réduction progressive de l’intensité.
Mais l’affûtage c’est avant tout une affaire personnelle puisque chaque organisme réagit de manière différente. Il faut être à l’écoute de l’athlète et connaître ses propres réactions afin d’individualiser cette période très complexe.
En effet, chez certains athlètes il faut faire attention à conserver un certain niveau de charge pour arriver au Top le jour J alors que chez d’autres il faut réduire drastiquement la charge d’entraînement la dernière semaine pour qu’ils puissent se recharger mentalement/ physiquement. L’approche de l’affûtage est aussi fortement corrélée au volume de charge d’entraînement moyen de l’athlète au cours des derniers mois. Lorsque l’athlète est habitué à s’entraîner 2 à 3x/ jour avec un volume élevé, l’affûtage sera plus court qu’un athlète avec un plus faible volume d’entraînement. L’élément clé de la période d’affûtage sera surtout un contrôle précis des intensités d’entraînement dans les 7 derniers jours et un suivi de la régulation de son système nerveux (SNA) en contrôlant l’évolution de sa HRV et de son wellness.
Il faut savoir que l’aspect psychologique est un élément important à prendre en considération, l’athlète doit se sentir bien dans les derniers jours avant l’objectif pour avoir confiance en ses capacités. Saw & al (2015) ont analysé 56 études sur le sujet du monitoring de la charge d’entraînement. Il en ressort que la surveillance du bien être (wellness) de l’athlète est un élément essentiel pour guider l’entraînement et la phase d’affûtage.
6. Conclusion
Les différents points évoqués dans cet article (pacing, stratégie nutritionnelle, gestion du Jet-Lag, acclimatation à la chaleur et phase d’affûtage) doivent aider l’athlète à atteindre sa meilleure performance sur l’IM d’Hawaii mais également sur les courses ayant un format identique.
D’autres éléments n’ont pas été cités mais sont important à prendre en considération :
- Entraînement guidé par HRV
- Suivi biologique avec dosage de l’hémoglobine
- Hyper-hydratation
- Optimisation de l’aérodynamisme
- Réduction de la chaleur endogène
- … … …
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Pour aller plus loin :
- Abbiss, CR., Quod, MJ., Martin, DT., Netto, KJ., Nosaka, K., Lee, H., Surriano, R., Bishop, D., Laursen, PB. (2006). Dynamic pacing strategies during the cycle phase of an Ironman triathlon. Med Sci Sports Exerc.
- Laursen, PB., Rhodes, EC. (2001). Factors affecting performance in an ultraendurance triathlon. Sports Med.
Ed Maunder, Andrew E. Kilding & Daniel J. Plews (2018). Substrate Metabolism During Ironman Triathlon: Different Horses on the Same Courses. Sports Med.