Définir les zones d’intensité d’entraînement sur le terrain

1. Introduction

Les différents travaux scientifiques sur l’entraînement en endurance mettent en avant l’importance du suivi de la distribution des intensités d’entraînement (DIE) jour après jour, semaine après semaine, afin d’optimiser la progression de l’athlète. 

La DIE correspond à la combinaison idéale entre le travail à basse, moyenne et haute intensité en utilisant 3 zones d’intensités primaires : 

  • Zone 1 : Basse intensité sur de longues durées  en dessous du SV1
  • Zone 2 : Intensité dite au « seuil » qui est située entre le SV1 et le SV2
  • Zone 3 : Haute intensité qui utilise généralement des intervalles au-dessus du SV2 

 

A partir de la connaissance de ces 3 zones, l’entraîneur peut orienter l’entraînement selon le modèle de DIE qui aura sa préférence. Actuellement, 2 modèles d’entraînement sont mis en avant dans les sports d’endurance : 

  • Le modèle Polarisé  
  • Le modèle Pyramidal

L’entraîneur dispose de tous les outils pour estimer de manière relativement précise les différentes zones d’entraînement.

Il est également possible d’utiliser des zones plus détaillées pour cibler spécifiquement des réponses physiologiques comme indiqué ci-dessous : 

2. Petit tour d’horizon des outils à disposition de l’entraîneur

a. La relation intensité-temps

La courbe intensité-temps est propre à chaque athlète, que ce soit en puissance sur le vélo ou en vitesse pour la course à pied, elle permet :

  • De comprendre le fonctionnement de l’athlète 
  • D’orienter le contenu de son entraînement
  • De calibrer individuellement les séances HIT
  • De suivre la progression
  • De prédire les performances
  • De construire la stratégie d’allure en fonction de la durée/ distance de la compétition.

 

Cette courbe intensité-temps permet de calculer une intensité étalon appelée « intensité critique » qui est exprimée en puissance pour le vélo ou la course à pied (si l’athlète dispose d’un capteur spécifique) ou en vitesse pour la natation et la course à pied. 

Pour calculer l’intensité critique il faut utiliser 2 à 3 performances comprises entre 3’ et 20’.  

Exemple concret d’un cycliste ayant développé :

  • 375W sur 5’ 
  • 322W sur 20’

 

Où Puissance Critique (CP) = (Wlimb – Wlima) / (Tlimb – Tlima) soit (112 500 – 386 400) / (1200 – 300) = 304W de puissance critique 

*Wlima = correspond à la puissance en Joules développée sur le test 5’

*Wlimb = correspond à la puissance en Joules développée sur le test 20’

*Tlima = la durée en seconde du test 5’

*Tlimb = la durée en seconde du test 20’

La puissance/vitesse critique est un paramètre clé, validé au niveau scientifique mais également sur le terrain par les entraîneurs, pour définir les intensités associées aux réponses  physiologiques.

*illustration issue des travaux de Leo & al (2021). Power profiling and the power‐duration relationship in cycling: a narrative review

ℹ️ Notez qu’il est possible d’avoir la même approche en utilisant la vitesse pour la natation ou la course à pied. 

W’/ D’ : des indices précieux pour la calibration de l’entraînement 

La relation intensité-temps en utilisant 2 performances permet également de calculer W’/ D’ qu’on pourrait assimiler à la taille de la batterie énergétique d’un athlète.

Lorsque un athlète s’entraîne à une intensité >IC il diminue sa batterie et lorsqu’il s’entraîne à une intensité <IC il maintien son niveau de batterie ou le restaure. 

C’est un outil très intéressant pour calibrer individuellement les séances d’intervalles à haute intensité en fonction : 

  • De l’intensité critique (en puissance ou en vitesse)
  • De la taille de la batterie symbolisée par W’/ D’

Lors de la phase à haute intensité (>IC) on réduit le niveau de la batterie. Alors que durant la phase de récupération à basse intensité (<IC) on restaure le niveau de la batterie.

La connaissance de l’IC (Puissance-Vitesse Critique) + la taille de la batterie énergétique (W’+ D’) il est possible de calibrer individuellement les séances HIT. 

Prenons par exemple 4 cyclistes ayant la même puissance critique (266W) mais une taille de batterie (W’) différente : 

La taille de la batterie (W’) va avoir une influence sur :

  • La puissance critique (CP) développée sur une durée définie. Dans notre exemple, on peut voir une différence de 121W sur un intervalle de 3′.
  • La durée de maintien à un % définie de CP. Dans notre exemple, il peut y avoir une différence de 20’52 » à 106% CP.

La connaissance de CP + W’ permet ainsi de calibrer individuellement les séances d’interval-training. 

En jouant sur le niveau de la batterie (Wbal) on peut repousser le seuil de tolérance à la fatigue. Un sujet très intéressant sur lequel je travaille avec les athlètes et qui porte vraiment ses fruits sur les épreuves de longue durée. 

ℹ️La vitesse critique et le concept W’/ D’ a été utilisée par Kipchoge lors de sa préparation du marathon en -2h (Breaking 2 & Ineos 1:59 Challenge). 

Ce qu’il faut retenir

En utilisant la relation entre l’intensité et le temps, on peut savoir ce qu’est capable de réaliser un athlète en terme de performance mais aussi au niveau de ses intensités d’entraînement. On est sur une approche totalement individualisée qui correspond au propre profil de l’athlète et non pas une estimation d’un % de PMA/ VMA/ FTP.

⚠️La puissance-vitesse critique doit être estimée par contexte et condition de réalisation. 

Exemple : 

La puissance critique sur route plate est différente de la puissance en montée 
La puissance critique sur route est différente de la puissance critique sur home-trainer
La puissance critique sur un vélo de route traditionnel est différente de la puissance critique sur un vélo de chrono
Il en est de même en course à pied, voir même plus complexe car la vitesse critique est différente selon les % de pente, la vitesse du vent ou la nature du sol.

b. Estimation des seuils en utilisant la HRV à l’effort

Compte tenu de l’influence des différents contextes de réalisation d’une séance d’entraînement (pente, vent, nature du sol …), il peut être compliqué d’utiliser l’intensité critique pour suivre la DIE. En effet, courir à 15Km/h n’a pas le même impact physiologique :

  • Sur le plat sans vent
  • Avec un fort vent de face,
  • Avec une température >30°
  • Ou dans une pente à 3%.

 

Dans ces conditions environnementales différentes, l’utilisation de la fréquence cardiaque (FC) pourrait-elle s’avérer plus propice ? 

Malheureusement la FC est difficilement utilisable en pratique pour prescrire les zones d’intensités puisque la réponse cardiaque peut être modifiées par différents facteurs : 

  • Dérive cardiaque par accumulation de chaleur endogène ou déshydratation
  • FC plus basse lors d’un état de fatigue occasionné par une charge d’entraînement élevée 
  • … … …

Le saviez-vous ?

Dans une étude portant sur le temps passé dans chaque zone d'entraînement avec une fréquence cardiaque et une vitesse définies par des paramètres d'échange gazeux, une plus grande fraction du temps relatif était passée dans la zone 2 si la zone était définie par la fréquence cardiaque du sujet plutôt que par sa vitesse de course.

La définition la plus fiable possible des zones d’intensité est importante car s’entraîner à de mauvaises intensités peut potentiellement entraîner des effets négatifs sur la performance ou la récupération. 

Alors quelle approche peut-on utiliser en pratique ⁉️

Une approche intéressante et innovante utilisant la dynamique non linéaire de la variabilité de la fréquence cardiaque (VFC) permet de mieux comprendre la complexité de la régulation cardiovasculaire lors d’un effort d’endurance. 

Durant une séance d’endurance, il y a une interaction constante entre la branche sympathique (qui accélère les réactions de l’organisme) et la branche parasympathique (qui ralenti les réactions de l’organisme) du système nerveux autonome (SNA) que ce soit lors de séances à basse ou haute intensité. 

Des études récentes ont observé un changement de l’indice HRV appelé « DFA-alpha1 » selon l’intensité d’exercice qui permet d’analyser l’interaction des 2 branches du SNA lors de l’exercice. L’indice DFA alpha 1 permet de mieux comprendre les processus physiologiques engagés durant l’exercice d’endurance.  

L’indice DFA-alpha1 peut être considérée comme un indicateur pour :

  • La prescription d’exercices
  • Le suivi de la distribution de l’intensité d’entraînement 
  • L’analyse des séances
  • L’estimation des seuils ventilatoires 
  • Le suivi de la fatigue

Le saviez-vous ?

La Variabilité de la Fréquence cardiaque (VFC) est une mesure pratique, non-invasive et reproductible de la fonction du système nerveux autonome. Bien que la fréquence cardiaque soit relativement stable, les temps entre deux battements cardiaques (R-R) peuvent être très différents.

Les indices DFA a1 permettant d’estimer les intensités : 

  • 1 = Fatmax (correspond à la zone préférentielle d’oxydation des graisses à l’effort)
  • 0,75 = HRVT1 (estimation de SV1)
  • 0,5 = HRVT2 (estimation SV2)

 

Différentes études ont pu valider ces différents indices seuils.  Que ce soit pour des sujets moins entraînés (A) ou très entraînés avec un VO2max élevé (B).

Cette méthode non invasive d’estimation des seuils ventilatoires est particulièrement intéressante car elle peut être utilisée durant des séances d’entraînement sans avoir besoin d’utiliser un test incrémental. 

Par conséquent, DFA-alpha1 semble montrer un potentiel afin de décrire la charge interne non seulement comme un indicateur quantitatif, mais aussi comme un marqueur qualitatif de l’état de régulation du système organique complexe pendant l’exercice d’endurance.

L’utilisation de DFA a1 en temps réel pendant les séances d’entraînement permet plusieurs avantages : 

  • Demande physiologique globale et intensité absolue durant l’exercice
  • Estimation immédiate de la fréquence cardiaque aux différents seuils (Fatmax, SV1, SV2).
  • S’entraîner aux bonnes intensités en fonction de la régulation du SNA

Le DFA a1 peut potentiellement être également utilisé pour :

  • Suivre la charge d’entraînement interne et l’évolution du niveau de fatigue
  • Individualiser l’entraînement d’endurance
  • Suivre la progression.  

 

3. En conclusion

Plus besoin d’aller dans un laboratoire, les entraîneurs disposent maintenant de tous les outils pour déterminer avec « une relative » précision les différentes zones d’intensité d’un athlète sur le terrain.  

Ces nouveaux outils donnent accès à des informations pertinentes qui jouent un rôle central pour une prise en charge individualisée de l’entraînement d’un athlète d’endurance.

Pour aller plus loin :

  • Jesse C. Craig & al (2019). Critical Power: Possibly the Most Important Fatigue Threshold in Exercise Physiology 
  • Thomas Gronwald & al (2020). Fractal Correlation Properties of Heart Rate Variability: A New Biomarker for Intensity Distribution in Endurance Exercise and Training Prescription?
  • Thomas Gronwald & al (2021). Real-Time Estimation of Aerobic Threshold and Exercise Intensity Distribution Using Fractal Correlation Properties of Heart Rate Variability: A Single-Case Field Application in a Former Olympic Triathlete
  • Andrew M. Jones & Anni Vanhatalo (2017). The ‘Critical Power’ Concept: Applications to Sports Performance with a Focus on Intermittent High-Intensity Exercise
  • Peter Leo & al (2021). Power profiling and the power‐duration relationship in cycling: a narrative review
  • Philip Friere Skiba & al (2014). Intramuscular determinants of the ability to recover work capacity above critical power 

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