La périodisation inversée : une approche intéressante pour progresser durant l’hiver

1. Introduction

Les journées se raccourcissent, il fait nuit de plus en plus tôt, les températures sont fraiches, ces deux éléments font qu’il est compliqué de réaliser de longues séances d’entraînement durant l’hiver. 

Alors comment s’entraîner durant l’hiver pour préparer la saison suivante et surtout continuer à progresser ⁉️

Les entraîneurs ont pour habitude de diviser la saison sportive en plusieurs périodes d’entraînement, c’est ce qu’on appelle communément « la périodisation d’entraînement ». Dans les sports d’endurance, principalement en cyclisme et en triathlon, les entraîneurs ont pour habitude de prévoir une période dite « foncière » (ou de base selon la terminologie employée), durant l’hiver, au sein de laquelle ils axent l’entraînement sur du travail long à basse intensité. Cette phase, qui peut durer entre 8 et 12 semaines, sert de base aérobie, elle est en principe conçue pour préparer l’organisme aux périodes suivantes qui seront plus qualitatives en terme d’intensité. 

Cette approche est-elle intéressante pour les athlètes de l’hémisphère Nord ? 

  • 1er problème

On demande à un athlète de s’entraîner de longues heures à basse intensité alors qu’à l’extérieur il fait froid et que les journées sont courtes. Pour un athlète qui travaille, il est très compliqué de placer ce genre de séances dans son planning. Il y a bien le Home-Trainer et le tapis de course qui peuvent venir l’aider mais il n’est quand même pas facile de passer 4h sur un Home-Trainer ou 2h sur un tapis roulant à basse intensité.

  • 2ème problème 

A l’issue de cette période de base, l’entraîneur va passer sur la période de « construction » et remettre progressivement de l’entraînement à haute intensité, Du coup on passe d’un entraînement exclusivement à basse intensité à un entraînement avec de la haute intensité ! C’est à ce moment qu’il peut y avoir un petit souci ! On va demander à un organisme qui aura passé de longues heures d’entraînement à basse intensité de réaliser du travail à haute intensité alors qu’il ne sera pas totalement préparé à y faire face. On expose ainsi l’athlète à un risque de blessure plus élevé ! 

  • 3ème problème 

En utilisant la périodisation traditionnelle, on va demander à des athlètes qui préparent des épreuves de longues durées (>4h d’effort) de réaliser le plus gros travail de base aérobie durant l’hiver pour ensuite intégrer du travail qualitatif et réduire le travail de base aérobie. Il faut savoir que pour être performant sur des épreuves de longue durée (>4h) il faut un travail constant de la base aérobie (≈80% du temps d’entraînement) durant toute l’année mais également en parallèle un travail à haute intensité (≈20%). Vous l’aurez compris, je parle ici de l’approche de l’entraînement Polarisé ou Pyramidal.

2. Ce que nous dit la science

Stephen Seiler, un sportscientist Norvégien spécialiste de la périodisation d’entraînement et de l’entraînement polarisé, a réalisé un travail très intéressant sur la hiérarchie d’entraînement (la Seiler’s Hierarchy).

Cet outil d’entraînement peut aider l’entraîneur à orienter l’entraînement vers l’approche la plus bénéfique et efficace pour améliorer les performances d’un athlète d’endurance. 

Cette hiérarchie des besoins d’entraînement en endurance réalise un classement des huit pratiques d’entraînement fondamentales par ordre d’impact prouvé par des études scientifiques.

Faisons un petit tour de cette hiérarchie : 

  1. La base la plus importante de l’entraînement serait de réaliser un volume élevé d’entraînement. Pour Seiler, l’approche la plus bénéfique pour améliorer les performances d’endurance est de faire beaucoup d’entraînement à faible intensité. Donc ça voudrait dire que la « période de base » à basse intensité est un socle important ⁉️ Oui et non car il ne faut pas négliger le travail HIT qui est la seconde base de la pyramide.
  2. Le travail à haute intensité est la 2ème base de la pyramide. En effet, l’alliance du travail à basse et haute intensité permet de maximiser les adaptations métaboliques spécifiques pour améliorer la performance d’endurance.
  3. La gestion de la distribution de l’intensité d’entraînement (DIE) hebdomadaire est considérée comme importante. Selon l’approche utilisée il faut consacrer 60 à 80% de son entraînement au travail à basse intensité et 15 à 40% à intensité moyenne à élevée. 
  4. La périodisation d’entraînement consiste à diviser une saison sportive en plusieurs périodes d’entraînement. Les effets de cette approche seraient probablement surestimés. Il n’y a pas qu’une seule approche à utiliser (périodisation traditionnelle) mais plusieurs approches de périodisation peuvent s’avérer tout autant efficaces. Le plus important étant de réduire la monotonie d’entraînement des athlètes et de prévenir au maximum les blessures.
  5. La micro-périosation comme par exemple l’utilisation d’un cycle de 3 semaines d’entraînement + 1 semaine de récupération : ⚠️ Attention ça va casser un mythe ! Prévoir 1 semaine de récupération toutes les 3 ou 4 semaines n’engendre qu’un effet très modeste sur l’amélioration des performances d’endurance. L’essentiel c’est de gérer la charge d’entraînement au jour le jour en suivant l’équilibre du système nerveux autonome (SNA) pour obtenir une réponse positive à l’entraînement (progression) et réduire les phases de de réponses négatives (fatigue, déséquilibre du SNA …).
  6. Parmi les gains marginaux on peut citer l’utilisation de stratégies d’entraînement (entraînement en hypoxie, manipulation nutritionnelle ou encore entraînement en chaleur) qui permet de renforcer l’adaptation de l’organisme au stress d’entraînement et d’améliorer la performance d’endurance. 
  7. L’entraînement régulier à l’allure spécifique de course permet d’améliorer le rendement de l’organisme afin d’être le plus performant sur l’objectif visé.
  8. Lorsque l’entraînement est bien mené, le niveau de forme d’un athlète n’évolue pas énormément au cours des 2 dernières semaines avant un objectif. Par contre, une charge d’entraînement trop élevée avant un objectif majeur peut engendrer un impact négatif sur la performance. L’affûtage c’est donc l’art de modifier légèrement l’entraînement en terme de volume et d’intensité pour placer l’athlète dans les meilleures dispositions physiologiques qui lui permettront d’améliorer ses performances de 1 à 3% pour un objectif ciblé.

3. La périodisation inversée

L’approche traditionnelle de la périodisation d’entraînement est remise en question depuis quelques années en faveur de la périodisation inversée. Cette approche plus adaptée aux athlètes d’endurance demeurant dans l’hémisphère Nord fait de plus en plus d’adeptes que ce soit dans les équipes cyclistes professionnelles ou chez les entraîneurs en triathlon.

Lire l'interview de Tim Kerrison (ex. Head Coach chez Ineos) qui évoque la périodisation inversée 👉🏻

  • En quoi consiste la périodisation inversée (PI) ?

La périodisation inversée concentre un large travail à haute intensité durant la période hivernale puis on y superpose progressivement des entraînements à basse intensité plus longs ainsi que du travail de tempo spécifique à l’arrivée des beaux jours et à l’approche des compétitions. 

La PI permet de passer un réel cap de progression durant la période hivernale mais aussi d’avoir un entraînement moins monotone et plus plaisant. On s’entraîne moins mais plus qualitativement ce qui convient parfaitement avec les journées plus fraiches et plus courtes. 

La base aérobie avant la haute intensité !

De nombreux entraîneurs vont se dire qu’on ne peut pas réaliser des séances HIT sans avoir la base aérobie. Justement, l’entraînement polarisé/ pyramidal permet d’avoir cette base aérobie (≈80% du travail à basse intensité) tout comme l’entraînement pyramidal (≈70% à basse intensité). De plus, il n’est pas nécessaire d’employer des intensités trop élevées lors des séances au risque de blesser les athlètes. Le déterminant principal pour réaliser une performance en endurance n’est pas le seul VO2max mais aussi le coût énergétique. S’entraîner trop vite n’est donc pas nécessaire pour progresser, ça expose surtout l’athlète à un risque accru de blessure. Les courses d’ultra-endurance (>4h) ne sont pas des compétitions de vitesse, il faut d’abord être capable de repousser son seuil de tolérance à la fatigue (sujet d’un prochain article).

La PI ce n’est pas simplement inverser les périodes mais c’est surtout avoir une alliance continue du travail des différentes intensités (basse, moyenne et haute intensité) en agençant les séances différemment pour aller de la quantité vers la qualité. Concrètement ça veut dire quoi ? 

On peut utiliser différentes approches lors de la PI, pour ma part j’aime bien rendre facile les séances HIT au début en ayant utilisant un ratio d’effort-récupération de 1:1 (durée de l’effort = à la durée du contre effort) pour habituer l’organisme à cette intensité. Puis progressivement on va garder la même intensité et réduire la durée de période de récupération. 

Par exemple : 

  • Au début de la période hivernal : 6*4’ @106-110% d’intensité critique (IC)/ r 4’ @55-75% IC 
  • Au début de la période estival : 6*4’ @ @106-110% IC/ r 2’ @55-75% IC

3. Retour d’expérience

J’utilise cette approche de l’entraînement depuis plusieurs années avec les athlètes que j’accompagne. J’ai pu observer une progression constante que ce soit durant la période hivernale ou estivale avec surtout l’atteinte des objectifs. C’est également important de voir les athlètes prendre du plaisir au sein d’un processus d’entraînement qui n’est pas monotone. 

4. Pour conclure

L’approche de l’entraînement utilisant des preuves scientifiques avec une validation sur le terrain permet de mettre en place des programmes d’entraînement différents et innovants. L’objectif principal étant de permettre à l’athlète d’être constamment sur une phase positive de progression tout au long de la saison en proposant des entraînements non monotones. 

Attention, la périodisation traditionnelle n’est pas mauvaise, elle peut être bénéfique selon le profil des athlètes et la discipline préparée. Comme on dit il n’y a pas qu’une vérité dans l’entraînement, ce serait trop facile 😉

La périodisation réversible peut être potentiellement plus adéquate pour les athlètes d’endurance (triathlon, cyclisme, course à pied …) durant la période hivernale surtout avec des journées plus courtes et des températures froides. 

Pour aller plus loin :

  • Arroyo-Toledo & al, 2021. The effect of 12-week of pyramidal and polarized training intensity distribution in national elite adolescent swimmers
  • Bacon et al, 2013. VO2max Trainability and High Intensity Training In Humans: A Meta-Analysis.
  • Issurin V, 2010. New horizons for the methodology and physiology of training periodization.
  • Rønnestad & al, 2014. Block periodization of high-intensity aerobic intervals provides superior training effects in trained cyclists.
  • Seiler, 2010. What is best practice for training intensity and duration distribution in endurance athletes?
  • Seiler, & al, 2013. Adaptations to aerobic interval training: interactive effects of exercise intensity and total work duration.
  • Seiler, 2016. Seiler’s Hierarchy of Endurance Training Needs. Conference: European Endurance Conference, European Athletics Coaching Summit
  • Selles-Perez & al, 2019. Polarized and Pyramidal Training Intensity Distribution: Relationship with a Half-Ironman Distance Triathlon Competition
  • Tonnessen & al, 2014. The road to gold: training and peaking characteristics in the year prior to a gold medal endurance performance. 

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